Lorsque Jean-Michel BLANQUER est arrivé au ministère de l'Education nationale, je savais, comme nombre de mes collègues, qu'il allait tenter d'orienter l'école vers un conservatisme vertical et silencieux, tout en favorisant l'enseignement privé. J'ai écrit ce texte, repris par la presse, le 7 juin 2017. Deux ans après, il n'y a hélas rien à retirer.
Conservatisme, en organisant le statu quo sur l'essentiel tout en mettant en avant les plus médiatiques calembredaines de la tradition et de la communication.
Silence et verticalité, en refusant toute concertation avec les personnels et en mettant à l'écart Le Conseil Supérieur. Au journaliste du Point qui l'interrogeait quelques jours après sa nomination:
"Vous seriez le premier ministre de l'Education à ne pas avoir de loi à votre nom?" Il répondit:
"J'en serais fier! Il faut en finir avec les révolutions verticales qui n'atteignent pas leur but."
Proche de l'enseignement privé, en le favorisant économiquement et techniquement. Mais on était prévenu. Il avait écrit peu de temps avant sa nomination:« L’enseignement
privé pourrait être un partenaire plus important du service public."
En matière d'éducation comme dans bien d'autres domaines, "En marche" est bien "de droite et de droite".
Nos enfants ne méritent pas ça !
Depuis quelques jours, le nouveau ministre Jean-Michel
BLANQUER commence à dessiner le contour
de la nouvelle école qu’il va mettre en place dès la prochaine rentrée. L’homme
est habile, répète à souhait qu’il ne sera pas le ministre d’une énième réforme
et qu’il ne changera pas ce qui vient tout juste d’être mis en place.
Mais ce n’est pas vrai.
Pour bien comprendre ce qui attend les enfants, il est
important de savoir en quelques mots qui est Jean-Michel BLANQUER.
Ancien élève d’une des écoles privées catholiques les plus
élitistes de Paris (Collège Stanislas) où
il rencontra son meilleur ami François BAROIN, il fut jusqu’à ces derniers
jours directeur général d’une grande école privée de commerce fondée par
l’institut catholique (ESSEC) après avoir occupé différents postes à la
direction du ministère de l’Education nationale sous le quinquennat SARKOZY.
Comme haut fonctionnaire, il a fait partie de ceux qui ont
mis en oeuvre des décisions politiques passées presque inaperçues par le grand
public mais lourdes de conséquences pour l’école et les enfants, en supprimant
la formation professionnelle des enseignants et des inspecteurs. Inspiré par
les théories de l’Institut Montaigne, lui-même financé depuis une quinzaine
d’années par de grandes entreprises dont
plusieurs appartiennent au CAC 40, il voulait faire fonctionner l’école « comme
une entreprise » lorsqu’il était directeur général de l’enseignement
scolaire. Ce groupe de réflexion de
tendance libérale a été créé par Claude
BEBEAR, fondateur des assurances AXA et est toujours présidé par le PDG actuel
de la même société d’assurances.
Il n’y a qu’une seule véritable
réforme qui vaille.
La seule véritable réforme utile au pays et aux enfants
consiste à refaire du magnifique métier d’enseignant un véritable métier, en
donnant à ces derniers la formation initiale et continue qui leur est due et le
salaire qui leur est dû.
Il s’agit d’efficacité et de reconnaissance pour un métier
technique et difficile. Et cet engagement devrait être porté par la nation tout
entière, comme sous la Troisième République. A cette époque, la République
naissante avait confié avec succès son avenir aux « hussards noirs »,
instituteurs chargés d’instituer la République. Elle les formait bien, les
payait bien et leur assurait différentes formes de reconnaissances morales et
matérielles.
Et maintenant : pas de sang dans
la bouche !
Sous le quinquennat SARKOZY, les professeurs des écoles,
étaient recrutés après un concours de niveau bac plus cinq, quelle que soit la
discipline du diplôme et expédiés en classe aussitôt, sans aucune formation.
C’est ainsi qu’avec un master de physique des matériaux ou un master de droit de
l’immobilier, vous pouviez prendre du jour au lendemain la responsabilité d’une
trentaine de bambins de l’école primaire.
Imaginez une seconde que l’on ait pu faire la même chose
avec les chirurgiens-dentistes recrutés à un niveau comparable! Que l’on ait
mis du jour au lendemain une turbine et des outils d’extraction dans les mains
d’un master en droit des affaires, par exemple ! Les patients seraient
sortis des cabinets la bouche en sang et en portant plainte au tribunal le plus
proche.
Si l’enseignant, par sa personnalité, son énergie, des soirs
de travail et souvent des nuits sans sommeil
arrivait à « garder » les enfants avec humanité, cela ne se
voyait pas trop. Les enfants qui souffraient le plus dans leurs apprentissages
étaient bien sûr les plus en difficultés, mais qui s’en souciait, il n’y avait
pas de sang dans la bouche !
Depuis le quinquennat HOLLANDE, la formation s’est un peu
améliorée tout en restant très insuffisante: après la licence d’une
discipline quelconque, les futurs professeurs doivent préparer un master de
l’éducation et bénéficie d’une formation professionnelle d’un an.
Mais, pour reprendre l’analogie, laisserait-on ouvrir un
cabinet dentaire avec seulement trois ans de formation professionnelle ?
Que se cache-t-il derrière toutes les
mesures annoncées au fil des multiples interviews du ministre?
On s’oriente vers une prise de pouvoir pédagogique par le
local au détriment de la responsabilité de l’état en matière d’éducation. Pour
ne pas effrayer, l’état habille son projet en parlant d’ « autonomie
des établissements » afin d’évacuer le premier et le plus gros employeur
de l’état qui ne veut plus être éducateur.
Les ministres GUICHARD (droite) et ALLEGRE (gauche) l’ont
par exemple envisagé en stigmatisant l’Education
nationale qu’ils taxaient respectivement de dinosaure ou de mammouth.
C’est ainsi que l’on a vu différents ministres de la
Cinquième République faire et défaire à longueur de temps, en envisageant de
confier l’école au secteur associatif, aux entreprises privées ou aux
collectivités territoriales.
L’école n’est pas une entreprise car elle doit satisfaire
simultanément trois logiques d’action et non une seule: celle de l’intérêt
général (ici permettre le progrès de chacun avec un bon niveau de culture),
celle de l’entreprise en permettant la sortie du dispositif avec un métier
utile et celle de la citoyenneté en développant l’aptitude à bien vivre
ensemble.
Si l’école était une entreprise, elle se contenterait de
distribuer des diplômes professionnels.
De quelle façon le nouveau ministre
commence-t-il à désengager l’état de sa
responsabilité éducative ?
-
Les
rythmes scolaires : une réforme essentielle et intelligente, mal
conduite sous le quinquennat précédent et remise en cause par Jean-Michel
BLANQUER.
Tous ceux qui ont pour tâche d’éduquer et
de soigner savent qu’une bonne réforme des rythmes impose jusqu’en classe de cinquième
de la régularité dans la journée, dans la semaine et dans l’année avec une
alternance équilibrée des temps de travail et de repos.
Les dernières réformes étaient imparfaites,
mais celle qui permettra le retour de six heures d’apprentissage quotidien de
la maternelle au CM2 est un non sens.
Parmi tous les pays de l’OCDE, la France va de
nouveau se trouver isolée en faisant travailler ses enfants près de cinquante
jours de moins que ses partenaires et en surchargeant chacune des quatre
journées hebdomadaires.
Le transfert de cette décision aux communes
est un début de « déconcentralisation » qui creusera les écarts sur
le territoire en fonction des idéologies et des moyens disponibles localement.
-
Les
activités péri-éducatives
Les activités péri-éducatives véritablement
éducatives ont bien montré, elles aussi, de quelle manière elles pouvaient
contribuer à creuser les inégalités entre les communes qui pouvaient par
exemple proposer l’apprentissage d’un instrument de musique et celles qui
n’offraient que des jeux occupationnels.
Supprimer ces activités en imposant des
journées de six heures à des enfants, c’est reporter ces choix sur les familles
dont on sait que seule une minorité les conduira.
Le local est obligatoirement inégalitaire,
l’école n’est plus l’école de la République.
-
Le
redoublement
Toutes les recherches, depuis des
décennies, concordent pour dire que le redoublement est nuisible et que la
véritable solution passe par la mise en place d’une véritable différenciation
pédagogique au sein des classes. Mais cette dernière nécessite un personnel
formé et expérimenté.
Tous les pays de l’OCDE qui réussissent ont
abandonné le redoublement depuis longtemps et n’y sont pas revenus. Le
redoublement est la solution de facilité pour ceux qui ne veulent pas investir
dans la formation des enseignants et font porter l’échec à l’élève, à sa
famille, sous une apparence de rigueur.
Les groupes sociaux les plus favorisés
apportent les éléments de culture de base à leurs enfants et ont moins besoin
de l’école primaire. C’est pourquoi ils s’en soucient moins, alors que ceux qui
n’ont que l’école pour dépasser leur condition ont absolument besoin d’un
accueil performant.
-
Les devoirs et les études dirigées
Décider que des travaux complémentaires
seront réalisés sur le temps scolaire est une bonne chose à condition que les
adultes qui accompagnent les élèves soient des professionnels expérimentés.
Toute solution faisant appel à des adultes dont ce n’est pas le métier
maintiendra l’illusion d’une aide véritable. Or si Jean-Michel BLANQUER
envisage de faire faire quelques heures supplémentaires aux enseignants, il
compte beaucoup sur des étudiants et des retraités. Aider l’enfant à comprendre l’erreur et
proposer des pistes de remédiation nécessite une réelle expertise.
Qui
paiera pour ces aides apparentes ? L’état, les familles, les
collectivités territoriales ? On reviendra probablement à un simple engagement
incitatif de l’état avec une implication forte des familles et des
collectivités territoriales.
Pour revenir à l’analogie dentaire du
début, peut-on envisager de soulager le chirurgien-dentiste en confiant un acte
particulièrement difficile à son assistante ?
-
Des
arbres qui cachent la forêt
Alors, comme il faut bien faire illusion,
on annonce pêle-mêle diverses mesures déjà existantes ou déjà expérimentées,
comme une chorale dans chaque école (obligatoire depuis 2000), ou des stages de
remise à niveau pour les CM2, une semaine avant d’entrer en sixième (créés il y
a plus de quinze ans, mais qui peut croire qu’en une semaine on peut compenser
huit ans de scolarité incertaine).
Il y
a bien les petites classes de l’élémentaire à 12 élèves dans les zones
prioritaires dès septembre 2017 ! La même expérience avait été tentée en
2002 pour disparaître deux ans plus tard, une fois l’effet d’annonce absorbé.
Ces petits arbres médiatiques auront bien
du mal à cacher la forêt.
Le véritable enjeu doit être la formation
des maîtres sous la responsabilité et le contrôle de l’Etat, garant de la
qualité et de l’unité de la nation.
Les enfants sont inégaux devant les apprentissages,
mais tous peuvent apprendre.
Plus ils sont en difficultés, plus les
professionnels qui les accompagnent doivent être formés.
Le véritable métier d’enseignant est d’une
complexité comparable à celle d’un médecin mais n’est actuellement ni reconnu
ni formé dans les mêmes conditions.
La formation est actuellement très
insuffisante et met en souffrance les enfants et leurs maîtres à qui ont fait
porter régulièrement le poids de résultats objectivement insuffisants et
inégalitaires.
Les seuls politiques crédibles sont ceux
qui relèveront le défi de la formation enseignante en sachant que les décisions
d’aujourd’hui mettront quelques années pour porter leurs fruits.
Le temps de l’éducation n’est pas le temps
des politiques, qui ne verront le bénéfice de leurs engagements que lorsqu’ils
auront eux-mêmes quitté la scène.
C’est peut-être cela le principal obstacle
à un réel changement…
Joël HERVE, inspecteur honoraire de
l’Education nationale.
Fréjus, 7 juin 2017
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