mardi 17 septembre 2019

Ecole: on ne réforme pas ce qui doit l'être

Interview et texte écrit pour la rentrée scolaire de 2018.


https://www.monacomatin.mc/jeunesse/lessentiel-de-ce-qui-doit-etre-reforme-est-deliberement-ignore-quand-linspecteur-de-leducation-nationale-balance-261344



 Pourquoi les ministres de l’Education nationale dansent-ils toujours le jour de la rentrée ?
 

En cette période de rentrée, je vous invite à laisser de côté tout le tapage que vous allez entendre pendant quelques jours. A nouveau ministre, nouvelles règles et nouveaux programmes.
Les enfants redeviennent des élèves et leurs maîtres sont heureux de les retrouver.
Je vais tenter de montrer de quelle façon le ministre médiatise l’apparence pour lui donner de la profondeur, puis de quelle façon il ignore délibérément l’essentiel de ce qui doit être réformé et enfin, comment il tente de transformer en silence ce qui doit être préservé.
 Entrons dans sa danse !

Médiatiser l’apparence pour lui donner de la profondeur
Il s’agit de  plaire aux parents, aux grands-parents, à la voisine et au concierge en réveillant l’image fantasmée de leur enfance, sans trop dépenser. Bref, plaire au plus grand nombre.
Prenons quelques exemples qui tournent en boucle depuis quelques jours.
Il paraît qu’il n’y aura plus de téléphones portables à l’école. J’en doute, puisque c’est le règlement intérieur  qui précisera les modalités d’utilisation et qu’ils pourront être utilisés pour des raisons pédagogiques.
A partir de cette rentrée, il y aura une dictée chaque jour. Mais l’orthographe était déjà quotidienne sous différentes formes, avant…
A partir de cette rentrée, il y aura des chorales partout. Mais elles existent depuis longtemps dans les écoles et sont obligatoires depuis 2002…
A partir de cette rentrée, on n’apprendra plus à lire avec la méthode globale. Mais au plus fort de sa mise en œuvre, elle n’a jamais dépassé les 10%. Et c’était dans les années 70 !
La résolution de problèmes devra être au cœur de l’activité des élèves, comme avant…
Mais surtout, il n’y aura plus que 12 élèves dans les CP-CE1 des quartiers en difficulté. C’est la mesure phare, celle qui va enrayer l’échec scolaire et annuler les inégalités…  C’est bien pour ces élèves, d’accord. On pourrait croire que l’aide est massive, à défaut d’être révolutionnaire. Or cette année, elle concernera 6% de l’effectif de cette tranche d’âge et moins de 2% des élèves du primaire. Et « en même temps », le ministre dénonce 20 % d’illettrés à l’entrée au collège. Il y a au moins une erreur quelque part !
Laissons le ministre danser. La danse est connue : un budget à peine plus élevé que l’inflation, mais du bruit et de la mousse, comme nous venons de le voir à travers quelques exemples. Il médiatise l’écume pour en faire son principal et dans cette première étape, il feint de tout changer pour que rien ne change.
Pourtant, il ignore les vraies difficultés de l’institution et s’applique à dissimuler le fond qu’il veut transformer. 

Ignorer l’essentiel de ce qui doit être réformé

L’essentiel est représenté par la formation des maîtres, la gestion du temps scolaire, l’accueil des élèves handicapés et le financement de l’école.
-          La formation des maîtres :

Peu de gens savent qu’elle a été supprimée sous la présidence SARKOZY quand le ministre actuel était aux commandes comme haut-fonctionnaire. Les jeunes profs passaient directement de la fac à la classe. La présidence HOLLANDE a mis deux étudiants en responsabilité dans la même classe tout en recevant à tour de rôle quelques rudiments de formation professionnelle. C’est ainsi que la formation en français, qui était auparavant de plus de 200 heures, a été diminuée de moitié, atteignant même parfois seulement quelques dizaines d’heures selon la formation universitaire d’origine. Maintenant, il paraît que cela va changer. Mais pour connaître le changement, il faudra attendre la prochaine danse ministérielle.
Elever le grade universitaire de tous les maîtres du primaire et du secondaire à Bac plus 5 était positif et aurait dû permettre des allers-retours entre les écoles et les collèges pour le plus grand bénéfice des élèves.
On a juste oublié qu’enseigner était un métier et qu’un métier, cela s’apprend.
Un rapport récent de la Cour des Comptes déplore la mise en place d’un dispositif qui n’a jamais satisfait aux exigences disciplinaires ni, surtout, à une véritable professionnalisation. Certains responsables pensent que la pédagogie ne sert à rien, qu’il serait souhaitable d’abaisser le niveau universitaire et de proposer des kits tout prêts qu’il serait aisé de mettre en œuvre de façon automatique sans avoir besoin d’une professionnalisation excessive. Ces gens-là oublient que pour bien enseigner les mathématiques à Jean, comme l’exprimait fort à propos le pédagogue américain DEWEY, il est impératif de bien connaître les mathématiques, mais il faut aussi très bien connaître Jean.

-           Le temps scolaire :

De façon totalement démagogique, le couple MACRON-BLANQUER a permis le retour de la semaine de 4 jours.
Les maires, qui voyaient leur dotation globale de fonctionnement baisser, ont été contents.
Les enseignants, qui ont vu leur temps de travail diminuer, ont été contents.
Les parents d’élèves, qui ont de nouveau pu partir en week-end, ont été contents.
Et les élèves ?
Avec 162 jours de classe par an dans le primaire, ils ont le plus petit nombre de jours travaillés de tous les pays de l’OCDE, mais aussi le calendrier le plus désorganisé produisant fatigue et inattention. Il est impératif de rééquilibrer très vite la journée, la semaine et l’année.

-          L’accueil des élèves handicapés :

Malgré la loi de 1975 sur le handicap et les multiples lois qui ont succédé, les handicapés sont encore des milliers sans solution. L’inclusion de tous est prévue pour 2022 déclare le ministre. En  attendant…

-           Le financement de l’école :

Beaucoup croient que le budget de l’éducation est un puits sans fond que l’on remplit à coup de budgets croissants.
Or les dépenses d’éducation ont baissé en France de 9,1% du PIB en 2005 à 8,4% en 2014 (dernier chiffre connu).
La moyenne de l’OCDE est de 11,3% du PIB avec des pointes à 14,1% pour la Suisse, 14,5% pour la Corée du Sud et 18,7% pour la Nouvelle-Zélande. Curieusement, ces pays font partie des meilleurs résultats aux évaluations internationales.


Tenter de transformer en silence ce qui doit être préservé

Mettre l’institution en difficulté en la privant de l’essentiel permet de faire croire qu’elle est irréformable et qu’il faut changer de système.

Les lobbys de l’enseignement privé ont tenté et obtenus quelques avantages matériels depuis 1983 grâce à différents gouvernements. Essentiellement catholiques, contrôlées par l’Etat avec des programmes identiques au public et des professeurs  payés par le contribuable, ces écoles se stabilisent autour de 16 à 17 % des effectifs.
L’expansion n’a pas eu lieu : les familles se regroupent essentiellement pour des raisons religieuses (16%), pour faciliter l’entre-soi et surtout pour échapper à la sectorisation quand l’école du quartier déplait. Cette stratégie périphérique est connue et une forme d’équilibre s’est instaurée à la suite des lois de 1959.
Moins de 1% des écoles privées, dites hors contrat, peuvent ouvrir presque sans condition et commencent à intéresser des sociétés qui veulent gagner de l’argent avec l’école.

On connait moins le processus de libéralisation de l’école qui se met subrepticement en place. L’école est un marché pratiquement vierge en France et attire d’autant plus que des oreilles attentives se sont installées au ministère et permettent des « expérimentations » qui ne sont rien d’autre que des chevaux de Troie qui prépare la privatisation. Cette fois, la conquête vient de l’intérieur. J’illustrerai le processus à partir d’un exemple, mais il n’est pas unique.
L’exemple le plus avancé s’organise autour d’une association appelée « Agir pour l’école ».  AXA, DASSAULT, TOTAL, la SOCIETE GENERALE, HSBC et beaucoup d’autres financent le matériel informatique et des formateurs pour expérimenter une méthode de lecture censée lutter contre l’échec scolaire. Le Ministère met à disposition des enseignants et des élèves avec l’engagement de quelques inspecteurs égarés. Jean-Michel BLANQUER a été un membre actif de cette association, proche de l’Institut Montaigne, dont le directeur a hébergé le groupe « En marche » à ses débuts.
Les recommandations officielles du ministre, qui complètent les programmes et sont destinées à tous les enseignants, prennent souvent leur source auprès de cette nébuleuse. Quant à l’association, elle se réclame de « chercheurs scientifiques », mais beaucoup l’ont abandonnée en route. Elle proclame « des résultats convaincants» qui n’ont convaincu qu’elle-même et surtout pas l’Inspection Générale dans le rapport qu’elle a rédigé pour le ministre.
Après avoir privatisé l’eau, la santé, la poste et bien d’autres, les décideurs vont-ils maintenant faire de l’éducation un bien marchand ?
Depuis le 27 août dernier, l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) recrute « un chargé de mission Agir pour l’école (salaire 30K€ par an) pour piloter un projet ambitieux dans les classes situées dans le département du VAR, en lien avec les enseignants et les autorités éducatives locales ». Quel projet ? Pour quelles écoles ? Avec quelle information pour les parents ? Qui a donné le feu vert ?

Pour résumer, on danse en surface, on étouffe entre deux et on sape en profondeur.

Enfin, je veux rester résolument optimiste en les regardant danser. Notre président et son ministre aiment l’école. Ils l’ont prouvé à leur manière.
Le premier est tombé amoureux de sa prof de français et le second a profité des dernières grandes vacances pour épouser une de ses anciennes élèves.
Tournent, tournent, la valse des programmes, le tango d’AXA, le rock’n’roll des méthodes, la rumba de la dictée et la salsa du démon…

Joël HERVE
Inspecteur honoraire de l‘Education nationale

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