https://www.monacomatin.mc/jeunesse/lessentiel-de-ce-qui-doit-etre-reforme-est-deliberement-ignore-quand-linspecteur-de-leducation-nationale-balance-261344
Pourquoi les ministres de l’Education
nationale dansent-ils toujours le jour de la rentrée ?
En cette période de rentrée, je vous invite à laisser de
côté tout le tapage que vous allez entendre pendant quelques jours. A nouveau
ministre, nouvelles règles et nouveaux programmes.
Les enfants redeviennent des élèves et leurs maîtres sont
heureux de les retrouver.
Je vais tenter de montrer de quelle façon le ministre
médiatise l’apparence pour lui donner de la profondeur, puis de quelle façon il
ignore délibérément l’essentiel de ce qui doit être réformé et enfin, comment
il tente de transformer en silence ce qui doit être préservé.
Entrons dans sa
danse !
Médiatiser l’apparence pour lui
donner de la profondeur
Il s’agit de plaire
aux parents, aux grands-parents, à la voisine et au concierge en réveillant
l’image fantasmée de leur enfance, sans trop dépenser. Bref, plaire au plus
grand nombre.
Prenons quelques exemples qui tournent en boucle depuis
quelques jours.
Il paraît qu’il n’y aura plus de téléphones portables à
l’école. J’en doute, puisque c’est le règlement intérieur qui précisera les modalités d’utilisation et
qu’ils pourront être utilisés pour des raisons pédagogiques.
A partir de cette rentrée, il y aura une dictée chaque jour.
Mais l’orthographe était déjà quotidienne sous différentes formes, avant…
A partir de cette rentrée, il y aura des chorales partout.
Mais elles existent depuis longtemps dans les écoles et sont obligatoires
depuis 2002…
A partir de cette rentrée, on n’apprendra plus à lire avec
la méthode globale. Mais au plus fort de sa mise en œuvre, elle n’a jamais
dépassé les 10%. Et c’était dans les années 70 !
La résolution de problèmes devra être au cœur de l’activité
des élèves, comme avant…
Mais surtout, il n’y aura plus que 12 élèves dans les CP-CE1
des quartiers en difficulté. C’est la mesure phare, celle qui va enrayer
l’échec scolaire et annuler les inégalités…
C’est bien pour ces élèves, d’accord. On pourrait croire que l’aide est
massive, à défaut d’être révolutionnaire. Or cette année, elle concernera 6% de
l’effectif de cette tranche d’âge et moins de 2% des élèves du primaire. Et
« en même temps », le ministre dénonce 20 % d’illettrés à l’entrée au
collège. Il y a au moins une erreur quelque part !
Laissons le ministre danser. La danse est connue : un
budget à peine plus élevé que l’inflation, mais du bruit et de la mousse, comme
nous venons de le voir à travers quelques exemples. Il médiatise l’écume pour
en faire son principal et dans cette première étape, il feint de tout changer
pour que rien ne change.
Pourtant, il ignore les vraies difficultés de l’institution
et s’applique à dissimuler le fond qu’il veut transformer.
Ignorer l’essentiel de ce qui doit
être réformé
L’essentiel
est représenté par la formation des maîtres, la gestion du temps scolaire,
l’accueil des élèves handicapés et le financement de l’école.
-
La
formation des maîtres :
Peu de gens savent qu’elle a été supprimée sous la présidence SARKOZY
quand le ministre actuel était aux commandes comme haut-fonctionnaire. Les
jeunes profs passaient directement de la fac à la classe. La présidence HOLLANDE
a mis deux étudiants en responsabilité dans la même classe tout en recevant à
tour de rôle quelques rudiments de formation professionnelle. C’est ainsi que
la formation en français, qui était auparavant de plus de 200 heures, a été
diminuée de moitié, atteignant même parfois seulement quelques dizaines
d’heures selon la formation universitaire d’origine. Maintenant, il paraît que
cela va changer. Mais pour connaître le changement, il faudra attendre la
prochaine danse ministérielle.
Elever le grade universitaire de tous les maîtres du primaire et du
secondaire à Bac plus 5 était positif et aurait dû permettre des allers-retours
entre les écoles et les collèges pour le plus grand bénéfice des élèves.
On a juste oublié qu’enseigner était un métier et qu’un métier, cela
s’apprend.
Un rapport récent de la Cour des Comptes déplore la mise en place d’un
dispositif qui n’a jamais satisfait aux exigences disciplinaires ni, surtout, à
une véritable professionnalisation. Certains responsables pensent que la pédagogie
ne sert à rien, qu’il serait souhaitable d’abaisser le niveau universitaire et
de proposer des kits tout prêts qu’il serait aisé de mettre en œuvre de façon
automatique sans avoir besoin d’une professionnalisation excessive. Ces gens-là
oublient que pour bien enseigner les mathématiques à Jean, comme l’exprimait
fort à propos le pédagogue américain DEWEY, il est impératif de bien connaître
les mathématiques, mais il faut aussi très bien connaître Jean.
-
Le temps scolaire :
De façon totalement démagogique, le couple MACRON-BLANQUER a permis le
retour de la semaine de 4 jours.
Les maires, qui voyaient leur dotation globale de fonctionnement baisser,
ont été contents.
Les enseignants, qui ont vu leur temps de travail diminuer, ont été
contents.
Les parents d’élèves, qui ont de nouveau pu partir en week-end, ont été
contents.
Et les élèves ?
Avec 162 jours de classe par an dans le primaire, ils ont le plus petit
nombre de jours travaillés de tous les pays de l’OCDE, mais aussi le calendrier
le plus désorganisé produisant fatigue et inattention. Il est impératif de
rééquilibrer très vite la journée, la semaine et l’année.
-
L’accueil
des élèves handicapés :
Malgré la loi de 1975 sur le handicap et les multiples lois qui ont
succédé, les handicapés sont encore des milliers sans solution. L’inclusion de
tous est prévue pour 2022 déclare le ministre. En attendant…
-
Le financement de l’école :
Beaucoup croient que le budget de l’éducation est un puits sans fond que
l’on remplit à coup de budgets croissants.
Or les dépenses d’éducation ont baissé en France de 9,1% du PIB en 2005 à
8,4% en 2014 (dernier chiffre connu).
La moyenne de l’OCDE est de 11,3% du PIB avec des pointes à 14,1% pour la
Suisse, 14,5% pour la Corée du Sud et 18,7% pour la Nouvelle-Zélande. Curieusement,
ces pays font partie des meilleurs résultats aux évaluations internationales.
Tenter de transformer en silence ce
qui doit être préservé
Mettre l’institution en difficulté en la privant de l’essentiel permet de
faire croire qu’elle est irréformable et qu’il faut changer de système.
Les lobbys de l’enseignement privé ont tenté et obtenus quelques
avantages matériels depuis 1983 grâce à différents gouvernements.
Essentiellement catholiques, contrôlées par l’Etat avec des programmes
identiques au public et des professeurs
payés par le contribuable, ces écoles se stabilisent autour de 16 à 17 %
des effectifs.
L’expansion n’a pas eu lieu : les familles se regroupent
essentiellement pour des raisons religieuses (16%), pour faciliter l’entre-soi
et surtout pour échapper à la sectorisation quand l’école du quartier déplait.
Cette stratégie périphérique est connue et une forme d’équilibre s’est instaurée
à la suite des lois de 1959.
Moins de 1% des écoles privées, dites hors contrat, peuvent ouvrir
presque sans condition et commencent à intéresser des sociétés qui veulent
gagner de l’argent avec l’école.
On connait moins le processus de libéralisation de l’école qui se met
subrepticement en place. L’école est un marché pratiquement vierge en France et
attire d’autant plus que des oreilles attentives se sont installées au
ministère et permettent des « expérimentations » qui ne sont rien
d’autre que des chevaux de Troie qui prépare la privatisation. Cette fois, la
conquête vient de l’intérieur. J’illustrerai le processus à partir d’un
exemple, mais il n’est pas unique.
L’exemple le plus avancé s’organise autour d’une association appelée
« Agir pour l’école ». AXA,
DASSAULT, TOTAL, la SOCIETE GENERALE, HSBC et beaucoup d’autres financent le
matériel informatique et des formateurs pour expérimenter une méthode de
lecture censée lutter contre l’échec scolaire. Le Ministère met à disposition
des enseignants et des élèves avec l’engagement de quelques inspecteurs égarés.
Jean-Michel BLANQUER a été un membre actif de cette association, proche de
l’Institut Montaigne, dont le directeur a hébergé le groupe « En
marche » à ses débuts.
Les recommandations officielles du ministre, qui complètent les
programmes et sont destinées à tous les enseignants, prennent souvent leur
source auprès de cette nébuleuse. Quant à l’association, elle se réclame de « chercheurs
scientifiques », mais beaucoup l’ont abandonnée en route. Elle proclame
« des résultats convaincants» qui n’ont convaincu qu’elle-même et surtout
pas l’Inspection Générale dans le rapport qu’elle a rédigé pour le ministre.
Après avoir privatisé l’eau, la santé, la poste et bien d’autres, les
décideurs vont-ils maintenant faire de l’éducation un bien marchand ?
Depuis le 27 août dernier, l’Association pour l’emploi des cadres (APEC)
recrute « un chargé de mission Agir
pour l’école (salaire 30K€ par an) pour piloter un projet ambitieux dans les
classes situées dans le département du VAR, en lien avec les enseignants et les
autorités éducatives locales ». Quel projet ? Pour quelles
écoles ? Avec quelle information pour les parents ? Qui a donné le
feu vert ?
Pour résumer, on danse en surface, on
étouffe entre deux et on sape en profondeur.
Enfin, je veux rester résolument optimiste en les regardant danser.
Notre président et son ministre aiment l’école. Ils l’ont prouvé à leur manière.
Le premier est tombé amoureux de sa prof de français et le second a
profité des dernières grandes vacances pour épouser une de ses anciennes
élèves.
Tournent, tournent, la valse des programmes, le tango d’AXA, le rock’n’roll
des méthodes, la rumba de la dictée et la salsa du démon…
Joël HERVE
Inspecteur honoraire de l‘Education nationale
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