Madame,
Permettez-moi de vous adresser quelques réflexions à propos de votre article du 20/02/2022, intitulé "le GBG: un "jeu" qui apaise la classe et aide à bien grandir."
Tout d'abord, je vous remercie d'avoir écrit un article sur le
fonctionnement de l'école et de la classe en particulier. Ce sujet
est rarement traité dans le journal. Mon analyse n'est pas
une critique de votre travail, mais de la "Méthode" présentée.
Elle cherche à esquisser quelques pistes pour rendre l'école plus
solide.
Cependant, consciemment ou pas, vous construisez la mise en valeur de "la Méthode" sur une vision des enseignants et de la classe qui ne leur est pas très favorable: "Finies les extinctions de voix, les migraines et la fatigue chronique liées au bruit, au stress"... "Pas de chaise qui grince, de rires étouffés, de trousse qui tombe."
Quant à la "Méthode" elle-même, telle que je la découvre, je n'y vois rien de bien nouveau.
Des consignes magistrales, ordinaires et positives qu'il est bon de rappeler, mais qui pourraient l'être par un élève, et qui devraient être intégrées depuis longtemps, compte tenu de l'âge des enfants et de la période de l'année scolaire: "Nous devons travailler dans le calme, nous devons respecter les autres, nous devons rester assis sauf permission, nous devons suivre les consignes."
Le travail s'effectue en groupes, très bien (l'important
est sa composition, sa permanence, les responsabilités
distribuées...). Ce mode de fonctionnement a fait ses preuves
depuis le début du siècle dernier et n'est innovant en rien.
Les apprentissages sont récompensés par des cadeaux, en
oubliant que les plus grandes victoires sont celles que l'on
remporte sur soi-même et que prendre plaisir à l'effort est un
élément clé de l'éducation.
Distribuer un Malabar ou des cartes à gratter en récompense, est
encore plus stupide que les bons-points d'antan qui ont fort
heureusement disparu à la fin du siècle dernier. La "coach"
devrait savoir tout ça. Je m'étonne que la santé scolaire
cautionne la distribution de friandises pour récompenser le
travail et qu'on prétende lutter contre les addictions en
distribuant des cartes à gratter.
Ceci dit, vous écrivez que les enfants, emportés par leur
activité, "ne pensent plus à réclamer" les récompenses. Je
suis heureux de constater qu'ils sont plus sages que les adultes
qui les entourent.
Les encouragements des adultes, même en cas d'erreur,
sont naturellement les bienvenus. Mais c'est le b.a. ba du métier.
Et, ce que vous appelez le débriefing, est aussi la supervision et
l'accompagnement ordinaire d'un professionnel de l'enseignement
qui a bénéficié d'une formation.
Un protocole randomisé, permettrait de conclure que les bénéficiaires se droguent et se suicident deux fois moins à l'âge adulte, lorsqu'ils ont suivi la "Méthode".
Permettez-moi d'en douter! Et quoi qu'il en soit, je serais curieux de découvrir le protocole et la validation concernés.
D'autant plus que, tel que tout cela est présenté, l'école pourrait passer pour celle qui est à l'origine des déviances citées.
Au-delà des biais probables dans cette affaire, le plus étonnant arrive en fin d'article: Tout cela "a un coût"annonce la sociologue. Eh oui, pour rentabiliser la "Méthode", il faut la vendre et payer les personnes qui l'accompagnent...
Il ne s'agit pas de baptiser d'un nom américain une "Méthode" qui reprend partiellement des éléments de pédagogie qui font leurs preuves depuis un siècle!
Le métier d'enseignant et les soins éventuels qui peuvent
accompagner les élèves ne peuvent se résumer à une "Méthode"!
La seule véritable méthode utile au pays et aux enfants, consiste à refaire du magnifique métier d’enseignant un véritable métier, en donnant à ces derniers, le salaire qui leur est dû et une formation initiale et continue qui leur évitera d'avoir recours à des "méthodes".
Il s’agit d’efficacité et de reconnaissance pour un métier technique et difficile. Et cet engagement devrait être porté par la nation tout entière, comme sous la Troisième République. A cette époque, la République naissante avait confié avec succès son avenir aux « hussards noirs », instituteurs chargés d’instituer la République. Elle les formait bien, les payait bien et leur assurait différentes formes de reconnaissances morales et matérielles.
Sous le quinquennat SARKOZY, les professeurs des écoles, étaient recrutés après un concours de niveau bac plus cinq, quelle que soit la discipline du diplôme, et expédiés en classe aussitôt, sans aucune formation. C’est ainsi qu’avec un master de physique des matériaux ou un master de droit de l’immobilier, vous pouviez prendre du jour au lendemain la responsabilité d’une trentaine de bambins de l’école primaire.Imaginez une seconde que l’on ait pu faire la même chose avec les chirurgiens-dentistes recrutés à un niveau comparable! Que l’on ait mis du jour au lendemain une turbine et des outils d’extraction dans les mains d’un master en droit des affaires, par exemple ! Les patients seraient sortis des cabinets la bouche en sang et en portant plainte au tribunal le plus proche.
Si l’enseignant, par sa personnalité, son énergie, des soirs de travail et souvent des nuits sans sommeil arrivait à « garder » les enfants avec humanité, cela ne se voyait pas trop. Les enfants qui souffraient le plus dans leurs apprentissages étaient bien sûr les plus en difficultés. Mais qui s’en souciait, il n’y avait pas de sang dans la bouche !
Depuis le quinquennat HOLLANDE, la formation s’est un peu améliorée tout en restant très insuffisante: après la licence d’une discipline quelconque, les futurs professeurs doivent préparer un master de l’éducation et bénéficie d’une formation professionnelle d’un an en dents de scie.
Mais, pour reprendre l’analogie, laisserait-on ouvrir un cabinet dentaire avec seulement trois ans de formation professionnelle ?
On s’oriente vers une prise de pouvoir pédagogique par le local ou le secteur privé (la "Méthode"?), au détriment de la responsabilité de l’État en matière d’éducation. Pour ne pas effrayer, on expérimente, on habille des projets en parlant d’ « autonomie des établissements », afin d’évacuer le premier et le plus gros employeur de l’État qui ne veut plus être éducateur.
Les ministres GUICHARD (droite) et ALLEGRE (gauche) l’ont par exemple envisagé en stigmatisant l’Éducation nationale qu’ils taxaient respectivement de dinosaure ou de mammouth.
C’est ainsi que l’on a vu différents ministres de la Cinquième République faire et défaire à longueur de temps, en envisageant de confier l’école aux entreprises privées ou aux collectivités territoriales.
Qui paiera pour ces aides apparentes? L’État, les familles, les
collectivités territoriales?
Les enfants sont inégaux devant les apprentissages, mais tous peuvent apprendre.
Plus ils sont en difficultés, plus les professionnels qui les accompagnent doivent être formés.
Le véritable métier d’enseignant est d’une complexité comparable à celle d’un médecin, mais n’est actuellement ni reconnu ni formé dans les mêmes conditions.
La formation est actuellement
très insuffisante et met en souffrance les enfants et leurs
maîtres à qui ont fait porter régulièrement le poids de résultats
objectivement insuffisants et inégalitaires.
Ce ne sont pas quelques
"Méthodes" étranges qui répondront au problème.
Les seuls politiques crédibles sont ceux qui relèveront le défi de la formation enseignante en sachant que les décisions d’aujourd’hui mettront quelques années pour porter leurs fruits.
Le temps de l’éducation n’est pas le temps des politiques, qui ne verront le bénéfice de leurs engagements que lorsqu’ils auront eux-mêmes quitté la scène.
C’est peut-être cela le principal obstacle à un réel changement…
Je vous adresse, chère Madame, mes plus cordiales salutations.
Joël HERVE, Inspecteur honoraire de l’Éducation nationale
PS:Comme vous vous intéressez
à l'école, sur des sujets proches, permettez-moi de vous
proposer:
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire