Jusqu'au début de la Cinquième République, l'orientation scolaire, encore plus qu'aujourd'hui, était liée aux origines sociales des élèves.
De surcroît, un dispositif institutionnel renforçait la ségrégation. Les élèves qui bénéficiaient de l'enseignement du latin dès la sixième pouvaient accéder au baccalauréat, aux études universitaires et à la prestigieuse école normale supérieure de la rue d'Ulm.
Ce fut le parcours de Pompidou, qui enseigna le latin et dont le père était principal de collège.
Ceux qui ne bénéficiaient pas du latin n'avaient jamais accès aux carrières prestigieuses, à de très rares exceptions près.
Le latin était le verrou qui bloquait l'ascenseur social pour les meilleurs élèves des milieux populaires.
De Gaulle, soucieux de la grandeur de la France, décida d'élargir le vivier des diplômés pour permettre le développement du pays, en recrutant des intelligences chez les pauvres.
Pompidou, alors premier ministre, s'y opposa fermement.
Edgar Pisani, ministre de l'agriculture de De Gaulle, raconta l'exaspération du Général en ces termes: "C'est terrible, Pisani, d'avoir un Premier ministre conservateur."
Un grand recteur (il y en a), Jean Capelle, fut nommé directeur au ministère de l'Education nationale.
Il proposa d'accueillir tous les élèves dans des structures communes, sans distinctions d'origines géographiques ou sociales, où le latin serait accessible à tous en cours de scolarité. Les collèges d'enseignement secondaires (CES) auraient dû voir le jour, mais Matignon bloquait le projet.
A cette époque, les élèves de fin de CM2 se distribuaient dans
des filières déterminantes pour l'avenir des enfants, avec une
ségrégation sociale très marquée: les classes
de fin d'études pour aller à l'usine ou chez un patron avec ou
sans "le certificat", les cours complémentaires et les collèges
d'enseignement général (sans latin) pour devenir employés et les sixièmes de
lycées (avec latin) pour rejoindre l'enseignement supérieur.
Le 4 février 1963, ce dernier invita le recteur Capelle au conseil des ministres et le chargea de présenter sa réforme, en mettant Pompidou devant le fait accompli.
Un fonctionnaire court-circuitant le premier ministre et présentant une réforme contre son gré, ça ne s'était jamais vu!
Ecoutons Jean Capelle: "Le Président m’invita à m’asseoir à côté de lui ; puis il me donna la parole pour un bref exposé sur la généralisation de la formule : collège de premier cycle. Après quoi il s’adressa à Georges Pompidou :
"Je crois, M. le Premier ministre, que la généralisation des collèges de premier cycle permettra de mieux résoudre le problème de l’orientation des jeunes et d’assurer les meilleures conditions d’une véritable égalité des chances. Vous êtes bien d’accord ?".
Sans enthousiasme et sans commentaire, Georges Pompidou répondit affirmativement".
Le taulier de Lisnard en avait
pris un coup...
Alors qu'il avait lui-même profité à plein de l'école républicaine, Pompidou avait bloqué la démocratisation de l'enseignement.
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