La perversion de la cité commence par la fraude des mots.
La salle est comble. Il fait chaud. Des chanteuses font
patienter. Les mamies ont sorti leurs bijoux. Les maris
discutent: "Ils va être bon!"
Les "invités du maires" sont assis, les autres sont
debout.
L'estrade est tout en bleu.
Un employé apporte le pupitre. Un employé apporte le micro. Une
employée apporte le discours. Masquelier avale sa bouteille d'eau.
La musique cesse.
Ça commence.
"J'ai une allergie bureaucratique, y'a pas de traitement." Rires
dans la salle.
"Le 14 juillet, on va faire un feu d'artifice en commun, hein
mon cher David." Applaudissements.
La future ligne de la SNCF?
"Il n' y a pas d'intérêt pour la ville, ça fera juste gagner
15 minutes aux Niçois et on n'aura plus de TGV."
Je suis d'accord.
Il découvre le problème? J'en doute
Il s'oppose au projet? Que nenni: il s'oppose à l'augmentation de la taxe de séjour qui va grimper
de 34%.
Les petits vieux de la salle applaudissent.
Pourtant, c'est moins que les 500% d'augmentation qu'il vient de
leur coller sur l'abonnement des bus de l'agglo!
"Il n'y aura pas d'augmentation des impôts", juste une
augmentation des services.
Eh, c'est que "la ville doit être gérée comme une
entreprise."
"Il faut être sans faiblesse... Il faut sortir de
l'angélisme... Il faut être fort."
"A Saint-Raphaël, on n'est pas à Bordeaux: 15 cambriolages par
jours."
"Là- bas, les mineurs non accompagnés font tout pour ne pas
être accompagnés. La moitié sont des majeurs. Des mineurs armés...
Y'a des belles montres, des belles voitures, venez, venez..."
"Ouah! Bordeaux", soupire une petite vieille à mes côtés.
"Pourquoi il parle de Bordeaux", s'étonne sa voisine.
Mais pas le temps de s'émouvoir. "Ici, on a 100 policiers
municipaux. Saint-Raphaël doit être notre refuge."
"On a mis 30 millions dans une copropriété privée. Des
outrages, des destructions, des jets de pierres, les habitants
qui n'ont plus accès aux caves, les bailleurs qui n'expulsent
pas..."
Dans son apocalypse, il a franchi le Pédégal sans s'en rendre
compte.
Rachline ne bronche pas.
Sous les projecteurs il a chaud et parle de plus en plus vite.
L'émotion le porte.
"Ne pas céder aux prophètes de l'apocalypse." Il parle des
écologistes, maintenant. "Ah! Je suis un réactionnaire de
droite (pléonasme) car je voulais faire une battue
contre les sangliers." Rires dans la salle.
"Avec moi, pas d'écriture inclusive, on change pas le nom de
Saint-Raphaël. Bourdieu, les dominants les dominés..."
"Le réchauffement climatique? Oui, avec 2°5, ce sera
l'Andalousie. Mais on refait les ronds-points, on change toutes
les ampoules, on met des transports (500% tout de même), on
isole les écoles..."
"L'écologie intelligente. J'ai une philosophie fondée sur la
rationalité, pas sur la peur." Même pas celle des mineurs
migrants de Bordeaux.
On a 100 policiers municipaux, tout de même et 200
caméras!
"La promenade des bains, c'est un beau projet! Vous allez
prendre votre destin en main avec le PLU... Les gilets jaunes
voulaient la démocratie participative... Je vous consulterai
pour savoir si vous voulez garder le mini-golf ou la grande
roue... Quand on sait ce que veut le citoyen, ça va mieux!"
(500% quand même!).
"Les rassemblements patriotiques, c'est être unis par la
culture. C'est ce qu'on pourrait apprendre à nos enfants."
S'il y a quelques enseignants dans la salle, ils vont être
contents...
"L'impuissance n'est pas une fatalité! Il faut être forts."
Le refuge, vous dis-je!
Chantons la Marseillaise et allons boire un coup...