mardi 23 mai 2023

Le peuple!

 Quand j'étais gamin, les ouvriers des usines voisines circulaient à vélo. Comme mes parents, ils étaient écolos par nécessité et sans le savoir.

Je les croisais en allant à l'école de mon quartier ou en allant jouer chez eux. C'étaient les pères de mes copains.

Ceux qui étaient couverts de poussières blanches travaillaient à la cimenterie et les bleus bossaient à la filature.

Ceux de l'usine chimique nous donnaient des feuilles de cellophane en couleur, qu'ils fabriquaient dans les odeurs d'acide que nous respirions comme eux en 3/8. Avec ces pellicules transparentes, nous faisions des guirlandes pour Noël et nos mères couvraient les pots de confiture.

Les discussions allaient bon train dans les familles, surtout pendant les grèves. Il y avait "les petits" et "les gros," les ouvriers et les patrons. 

Dans le langage commun,les employés se considéraient aussi comme "des ouvriers." Implicitement, la gauche c'était la justice sociale et le progrès de la science, même si le concept n'affleurait pour personne.

Il y avait donc les patrons, les bourgeois, les capitalistes, les savants et "les ouvriers." Chacun dans son rôle, chacun dans sa classe.

Aujourd'hui et depuis quelques années, ce monde craque. Il n'y a plus d'ouvriers, il y a "le peuple!" Il n'y a plus de patrons, il y a des financiers. Il n'y a plus de "grands commis de l’État," il y a des "élites."

Et "le peuple," mal préparé et emporté par ce qu'il trouve sur les écrans, s'est séparé du progrès, avant de se séparer des élites intellectuelles, qui les trahiraient. On est dans la dénonciation, pas dans la sociologie scientifique. Mais c'est ce courant qui l'emporte aujourd'hui, surtout chez les extrêmes: la trahison bien plus que la raison!

Pourtant, il y a confusion: l'anticapitalisme de mes ouvriers d'enfance (l'exploitation de l'homme par l'homme, pour aller vite), s'est mué en tout autre chose.

L'anticapitalisme citoyen des "ouvriers" s'est mué en anti-ploutocratie d'un "peuple" consommateur (il y a ploutocratie quand le gouvernement est au main de ceux qui ont la richesse) .

L'hostilité à l'argent, portée jadis par la morale de la monarchie et plus récemment encore par celle de l'église, n'existe plus.

Le dernier pilier de notre société, la morale socialiste est en train de céder. Beaucoup de ceux qui sont écologistes dissimulent leurs idéaux d'égalité et de justice sociale, pour ne pas effrayer les bourgeois avec qui ils vivent en bonne intelligence et dont ils sollicitent de temps en temps les voix. Sans pour autant faire entendre la leur autrement que dans des moments festifs ou ludiques dont raffole la presse.

Il n'y a plus de frein au désir d'enrichissement. Le fric est devenu le seul étalon. Celui qui n'en a pas entre dans l'indignité de l'autre et surtout dans sa propre indignité.

Les cyniques désignent les boucs-émissaires, mentent sur leur vraie nature et attendent, bien polis, bien propres sur eux, en faisant semblant d'être de gauche, en faisant semblant d'être écologistes, en faisant semblant de tout. Ils réussissent même à faire ramasser les mégots des plages à quelques bonnes volontés, à faire signer des pétitions en apparence vertes, à caresser les tortues et à rentrer dans les classes, pendant qu'ils courent toujours un peu plus vite de contrats en contrats, vers les emplois fictifs, les fêtes, les montres de luxe et les objets qui brillent... que leur paye "le peuple."

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