Extrait du livre de Kundera, "L'insoutenable légèreté de l'être", relu dans le train, la semaine dernière.
"Elle pensait au discours que Dubcek* avait prononcé à la radio à son retour de Moscou...
Des soldats étrangers l'avaient arrêté dans son propre pays, lui, le chef d'un État souverain. Ils l'avaient enlevé, l'avaient séquestré quatre jours durant quelque part dans les montagnes d'Ukraine, lui avaient fait comprendre qu'ils allaient le fusiller, comme avait été fusillé douze ans plus tôt son précurseur hongrois Imre Nagy.
Puis ils l'avaient transféré à Moscou, lui avaient ordonné de prendre un bain, de se raser, de s'habiller, de mettre une cravate, lui avaient annoncé qu'il n'était plus destiné au peloton d'exécution, l'avaient enjoint de se considérer à nouveau comme chef d’État, l'avaient fait asseoir à une table en face de Brejnev et l'avaient contraint à négocier.
Il était revenu humilié et s'était adressé à un peuple humilié au point de ne pouvoir parler. Tereza n'oublierait jamais ces pauses atroces au milieu des phrases.
Était-il à bout de force? Malade? L'avait-on drogué? Ou bien, n'était-ce que le désespoir?
S'il ne reste rien de Dubcek, il en restera ces longs silences atroces pendant lesquels il ne pouvait pas respirer, pendant lesquels il cherchait son souffle devant un peuple entier collé aux récepteurs. Dans ces silences, il y avait toute l'horreur qui s'était abattue sur le pays."
*Dubcek fut à l'initiative du "printemps de Prague", tentative de
démocratisation de la Tchécoslovaquie en1968, qui fut très vite stoppée
par les troupes de l'URSS et de ses alliés.
Un demi siècle plus tard, de Prague à Kiev, j'y vois quelques similitudes.
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