mercredi 15 janvier 2025

Comment reconnaître l'arrivée du fascisme?

 

Ce texte fait partie d'un ensemble d'une douzaine d'articles, dont quelques-uns ont été publiés depuis le  6  janvier. D'autres suivront dans les jours prochains.

 

Umberto Eco, décédé il y a neuf ans, fut écrivain, professeur et doyen de l'Université de Bologne, ainsi que professeur au Collège de France.
 
Il a publié en 1995 un essai proposant une grille d'analyse des signes avant-coureurs permettant de prévoir comment un régime politique démocratique était susceptible de basculer vers le fascisme (réédité cette année, "Connaître le fascisme", chez Grasset).

Il a repéré 14 signaux d'alerte pour reconnaître le fascisme et nous met en garde:  

"Impossible d'incorporer ces caractéristiques dans un système, beaucoup se contredisent réciproquement et sont typiques d'autres formes de despotisme ou de fanatisme. Mais il suffit qu'une seule d'entre-elles soit présente pour faire coaguler une nébuleuse fasciste."

 
En voici les extraits:

  1. La première caractéristique du fascisme est le culte de la tradition. Il ne peut y avoir d'avancée du savoir. La vérité a déjà été énoncée une fois pour toutes, et l'on ne peut que continuer à interpréter son obscur message.

  2. Le conservatisme implique le refus du modernisme. Le rejet du monde moderne se dissimule sous un refus du mode de vie capitaliste, mais il a principalement consisté en un rejet de l’esprit de 1789. Le siècle des Lumières, l’Âge de la Raison sonnent le début de la dépravation moderne.

  3. Le fascisme entretient le culte de l’action pour l’action. Réfléchir est une forme d’émasculation. En conséquence, la culture est suspecte en cela qu’elle est synonyme d’esprit critique. L'essentiel de l'engagement des intellectuels fascistes consistait à accuser la culture moderne. Des penseurs officiels fascistes ont consacré beaucoup d’énergie à attaquer la culture moderne et l’intelligentsia d’avoir abandonné les valeurs traditionnelles.

  4. Le fascisme ne peut accepter la critique. L’esprit critique opère des distinctions, et distinguer est un signe de modernité. Dans la culture moderne, c’est sur le désaccord que la communauté scientifique fonde les progrès de la connaissance. Pour le fascisme, le désaccord est trahison.

  5. En outre, le désaccord est synonyme de diversité. Le fascisme croît et cherche le consensus en exploitant et exacerbant la peur naturelle de la différence. Le fascisme est raciste par définition.

  6. Le fascisme naît de la frustration individuelle ou sociale. C’est pourquoi l’un des critères les plus typiques des fascismes historiques est-elle l'appel aux classes moyennes frustrées, souffrant de la crise économique ou d’un sentiment d’humiliation politique, effrayées par la pression des groupes sociaux inférieurs.

  7. Aux personnes privées d’une identité sociale claire, le fascisme éternel répond qu’elles jouissent d'un privilège unique: être nées dans le même pays. C’est l’origine du nationalisme. De plus, les seuls à pouvoir donner corps à l’identité de la nation, ce sont ses ennemis. Ainsi y a-t-il à l’origine de la psychologie du fascisme une obsession du complot, si possible international. La meilleure façon de contrer le complot est d’en appeler à la xénophobie. Mais le complot doit pouvoir aussi venir de l’intérieur. Les juifs sont en général la meilleures des cibles puisqu'ils présentent l'avantage d'être à la fois dedans et dehors.

  8. Les partisans du fascisme doivent se sentir humiliés par la richesse ostentatoire et la force de l'ennemi. Les disciples doivent être convaincus de pouvoir vaincre leurs ennemis. Mais les gouvernements fascistes se condamnent à perdre les guerres entreprises car ils sont foncièrement incapables d’évaluer objectivement les forces ennemies.

  9. Pour le fascisme, il n’y a pas de lutte pour la vie mais plutôt une vie pour à la lutte. Le pacifisme est alors une collusion avec l’ennemi et il est mauvais car la vie est une guerre permanente.

  10. L’élitisme est un aspect caractéristique de l'idéologie réactionnaire. Le fascisme ne peut promouvoir qu’un élitisme populaire. Chaque citoyen appartient au meilleur peuple du monde; les membres du parti comptent parmi les meilleurs citoyens; chaque citoyen peut ou doit devenir un membre du parti.

  11. Dans une telle perspective, chacun est éduqué pour devenir un héros. Le héros du fascisme rêve de mort héroïque, qui lui est vendue comme l’ultime récompense d’une vie héroïque.

  12. Le fasciste transfère sa volonté de puissance sur des questions sexuelles. Il est machiste (ce qui implique à la fois le mépris des femmes et l’intolérance ainsi que la condamnation des mœurs sexuelles hors normes: chasteté comme homosexualité).

  13. Le fascisme se fonde sur un populisme qualitatif. Pour le fascisme, les individus en tant que tels n'ont pas de droits, et le "peuple" est conçu comme une entité monolithique exprimant la "volonté commune". Etant donné que des êtres humains en grand nombre ne peuvent porter une "volonté commune", c’est le Chef qui peut alors se prétendre leur interprète. Ayant perdu leur pouvoir de délégation, les citoyens n’agissent pas; ils sont seulement appelés à jouer le rôle du peuple.

  14. Le fascisme parle la Novlangue. La Novlangue, inventée par Orwell dans "1984", est la langue officielle de l’Ingsoc, ou socialisme anglais. Tous les textes scolaires nazis ou fascistes se fondaient sur un lexique pauvre et une syntaxe élémentaire. Il s'agit, dans tous les cas, de limiter les instruments d’une raison critique et d’une pensée complexe.

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