jeudi 26 juin 2025

Les bullshits jobs

 

David GRAEBER, professeur à la London School of Economics, pense que de nombreuses personnes consacrent leur vie à un travail inutile et vide de sens.

Ils les a appelés les bullshit jobs* ou jobs à la con.

"En 1930, John Maynard Keynes prédisait que, d'ici la fin du siècle, les technologies auraient fait suffisamment de progrès pour qu'on puisse instaurer une semaine de travail de quinze heures.

Sur le plan technique, nous en sommes parfaitement capables. Pourtant, cela ne s'est pas produit. Au contraire, la technologie a été mobilisée pour nous faire travailler plus... 

Des emplois effectivement inutiles ont dû être créés. Des populations entières, en Europe et en Amérique du Nord, passent toute leur vie professionnelle à effectuer des tâches dont elles pensent secrètement qu'elles n'ont pas vraiment lieu d'être. 

Cette situation provoque des dégâts moraux et spirituels profonds..."

Dans la dernière préface de son livre, il parle par exemple pêle-mêle des "nouvelles industries", comme les services financiers ou le télémarketing, du droit des affaires, des ressources humaines ou des relations publiques, sans parler des "industries auxiliaires" qui n'existent que parce que les précédentes existent, comme "les toiletteurs pour chiens ou les livreurs de pizzas 24/24".

Le phénomène fonctionne comme si "quelqu'un s'amusait à inventer des emplois inutiles dans le seul but de nous garder tous occupés." Or, dit-il, dans un système capitaliste, "ça ne devrait pas se produire".

Pour lui, "l'explication n'est pas économique: elle est morale et politique."

Il évoque l'histoire d'un ami d'enfance, devenu poète et leader d'un groupe de rock, qui avait dû se reconvertir à la suite de deux albums ratés, pour nourrir sa famille. Il avait alors choisi " comme tant de désorientés: la fac de droit." 

Devenu avocat d'affaires, il fut le premier à admettre "que son job n'avait aucun sens, n'apportait rien au monde et ne devrait même pas exister."

Aujourd'hui, le professeur GRAEBER constate que la règle semble être que "plus un travail bénéficie clairement aux autres, moins il est rémunéré."

Il estime qu'aux États-Unis, le Parti Républicain "a réussi à dresser la population contre les enseignants et les ouvriers de l'automobile sous prétexte qu'ils bénéficieraient de salaires et d'avantages mirobolants." C'est un peu comme si on leur disait: "Mais vous avez la chance d'enseigner aux enfants (ou de fabriquer des voitures)! Vous avez de vrais boulots! Vous avez le toupet de réclamer des retraites de bourgeois et la Sécu en plus de ça?"

On rappellera le mimétisme de la droite française, sur le même thème, dans les propos de Sarkozy,  invité par Masquelier en novembre dernier.**

"Les vrais travailleurs, dit GRAEBER, ceux qui produisent des choses, sont constamment écrasés et exploités. Le reste de la population active se divise en deux catégories: 

- d'un côté les sans-emploi terrorisés et partout dénigrés,

- de l'autre une frange plus large, fondamentalement payée à ne rien faire", dont les postes sont conçus pour qu'ils adhèrent aux vues et aux sensibilités de la classe dirigeante.

Ce système, pense-t-il, n'a pas été conçu volontairement mais reste le résultat d'un siècle de tâtonnements.

Un monde privé d'enseignants, d'ouvriers ou de dockers deviendrait difficile à vivre. On l'a bien vu pendant la Covid. Tout comme un monde sans créateurs, artistes ou musiciens!

En fait, tout son livre invite à réfléchir et à débattre sur une question essentielle: à quoi pourrait ressembler une société authentiquement libre?

Tout cela me semble tout à fait d'actualité, non?

*Bullshit jobs David Graeber, édition Les Liens qui Libèrent.

** https://forumjulii.blogspot.com/2024/11/il-tire-ses-dernieres-cartouches-sur.html

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